Il y en avait plus qu’en Angleterre
La technique de cuisson sur l’âtre permettrait d’avancer que le râtelier de cuisine était partout. À mon grand étonnement, il a fallu constater une inégalité de l’intérêt porté à cet instrument dans le monde occidental.
En Angleterre, les forgerons ne forgeaient pas fréquemment de ces ustensiles alors qu’on en retrouve tant en France, en Allemagne et qu’on peut très bien en supposer en Italie. Qu’en est-il en Amérique?
Les colons du nouveau monde ont-ils métissé les cultures au point que les influences européennes se soient estompées et qu’on se retrouve avec un monde unique comme ce fut le cas avec le plus d’évidence à la Nouvelle-Orléans?
La question de la place du râtelier de cuisine en Amérique devient donc intéressante. Malgré la forte proportion des colons d’origine anglaise qui ne devaient pas préconiser l’usage de cet ustensile, nous devrions quand même, métissage oblige, trouver des râteliers aux USofA.
Dans le « Colonial Wrought Iron » de Plummer …
En Nouvelle-Angleterre, les colons étaient Anglais mais aussi Allemands. Les forgerons français ont eu une influence sur la forge de cette région. Je rappelle ici les propos de Sonn parus en 1926 :
In northern New-York, and in Vermont, New-Hampshire, and Maine, one still sees an occasional reminder that this district was originaly under French domination. … Early American wrought iron is therefore a sort of Salmagundian affair, a mixture largely British in character because British colonists generaly predominated, but with a dash of the French, Italian, Spanish, Dutch and German to leven the whole.
— Sonn, Early American Wrought Iron, livre I, pages 10 & 11
Étonnament, Plummer mentionne à peine les râteliers de cuisine. Il n’en présente que deux. Il les dépouille même de tout intérêt en les décrivant comme « some form of mounting or hanging device » (page 26). Pourtant les deux râteliers qu’il nous présente sont de grande qualité. Le premier des râteliers de la collection Sorber est muni de six crochets et le dessus de sa plaque est découpé en un délicat feston.
Les crochets sont terminés en forme de têtes de champignons. Comme il n’apparaît aucun rivet, ces crochets peuvent être soudés derrière la plaque. Ils peuvent aussi avoir été rivetés et la finition de la face visible de la plaque fut obtenue avec des limes et beaucoup de patience. Les extrémités de la plaque sont repliées pour former ce que Lecoq décrit comme « un cylindre étroit qu’on glissait sur des pitons fichés dans le mur » (Les Objets … page 221).
Cet ustensile a couté cher. On ne payait pas un forgeron pour travailler de la sorte si l’objet n’avait pas ou peu d’importance et le forgeron du village ne s’amusait pas à découper des festons ni à souder six crochets derrière une plaque sans la déformer ou à limer des rivets jusqu’à ce qu’ils disparaissent à moins d’être payé pour le faire. Ce râtelier a eu beaucoup d’importance. Il a coûté beaucoup de travail.
En passant, Lecoq précise que l’utilisation du feston découpé en la partie supérieure de la plaque d’un râtelier date du début du 18e siècle, en France du moins. Nous nous retrouverions donc devant un ustensile de cette époque et devant une de ces traces de la culture française, de la présence française en Nouvelle-Angleterre que Sonn a constatée.
Notons aussi que les extrémités des ustensiles qui sont suspendus au râtelier sont toutes en forme d’œillet et qu’il fallait un système comme celui du râtelier pour les suspendre … à moins qu’on ne se soit contenté d’un clou planté quelque part dans le foyer.
Si je semble insister, c’est que les ustensiles que nous voyons pendus à ce râtelier sont signés par quatre forgerons. Ce sont de beaux ustensiles. Il semble donc que les forgerons forgeaient des ustensiles destinés à être suspendus de belle manière, à un râtelier et ils y affichaient leur nom par fierté et sans doute aussi pour qu’on sache où s’adresser pour obtenir un tel objet. Et puis, on imagine facilement le forgeron qui a réalisé le râtelier ci-dessus pour madame Smith dire à madame Turnbull qu’il en a fait un pour madame Smith et qu’il pourrait lui en forger un qui soit au moins aussi joli. Et imaginons que madame Smith ne parle plus madame Turnbull. On voit l’effet.
Le second râtelier que Plummer nous fait voir, plus étroit, est muni de trois crochets.
La façon dont ces crochets sont forgés est intéressante. Le dessin qui suit fait voir que le forgeron a fait en sorte que le devant du crochet qui est riveté au dos de la plaque vienne s’appuyer sous elle et ressorte à niveau avec celle-ci
De plus, ce râtelier est surmonté d’une décoration imposante rivée au dos. On peut le comparer à un autre qu’on retrouve chez Lecoq, surmonté de fleurs de lis et d’un réceptacle pour une chandelle. Différents, bien sûr, ils n’en ont pas moins une allure semblable. Ils révèlent une façon de penser et de faire apparentée, répandue qui porte à croire à une grande diffusion des râteliers de cuisine d’inspiration française.
Ce second râtelier de Plummer apparaît aussi dans la photo de la page 1 de son livre où l’on voit une cheminée entière. Il est fiché au manteau de la cheminée, à gauche. On y a suspendu deux supports à brochettes (bien décorés) avec leurs brochettes et une longue fourchette de cuisine.
À droite de la cheminée, aussi fichée dans le manteau, on voit une simple barre d’accrochage aux extrémités forgées en forme de pointe. Y sont suspendus des ustensiles dont le bout du manche est terminé en crochet. Il y a aussi deux ustensiles dont le manche se termine en forme d’œillet et qui sont accrochés à des esses pendues à la barre. Ce sont les deuxième et troisième à partir de la gauche de la barre.
Qu’il ne se trouve que deux râteliers dans cet ouvrage de Plummer pourrait s’expliquer par le petit nombre de ces ustensiles qui se sont retrouvés dans la collection Sorber qu’analyse le livre.
On se demande alors pourquoi il n’y en avait que si peu de ces râteliers dans cette collection. Serait-ce qu’il y en avait peu en Nouvelle-Angleterre? Que Sorber ne fut pas intéressé? Plummer non plus bien qu’il y en eu eut dans la collection? Encore une fois, pourquoi?
L’explication se trouverait-elle comme je l’ai déjà dis, dans un esprit d’économie des colons d’origine anglaise les plus nombreux de ce pays, dans un sens pratique qu’on leur supposerait et qui les eut fait renoncer aux fioritures et au décor. Je ne pense pas. Ils décoraient amplement leurs supports à brochettes par exemple de même que leurs pentures et leurs clenches entre autres.
Il y avait plus de râteliers que leur rareté apparente dans cette collection ne le laisse supposer. J’en suis persuadé. Il semblerait que Plummer ne voit pas l’importance d’un ustensile qui coûtait cher, qu’on offrait en cadeau comme il le dit lui-même
Et les autres auteurs?
Sonn
Sonn, dont on peut penser qu’il a tout vu au cours de l’exécution de ses quelques trois mille dessins ne présente qu’un seul râtelier.
Cependant, il est rond comme une couronne d’office et en a les airs avec ses crochets pointus où l’on accrochait du gibier et des viandes. On pourrait donc y voir cet outil plutôt qu’un râtelier. C’est ce que j’y voyais jusqu’à ce que ma mémoire me ramène au livre de Dupont où se trouve un râtelier de même forme.
Je n’oserais pas penser que Dupont et Sonn auraient commis la même erreur. Il faudrait en voir d’autres ce qui ne m’est pas arrivé. Sonn souligne que ces ustensiles, les râteliers, étaient souvent forgés avec attention et maîtrise. Qu’un seul râtelier apparaisse dans cette monumentale recherche de Sonn, nous indiquerait que ceux-ci étaient vraiment peu nombreux en Nouvelle-Angleterre.
Neumann
Neumann quant à lui nous en fait voir cinq.
Celui de gauche a quatre crochets. En examinant bien la photo, il me semble qu’ils sont rivés. La plaque est décorée de festons.
Des quatre autres qui se trouvent dans la photo de droite deux sont décorés de brindilles (ou rinceaux). Deux plaques sont décorées de festons. Neumann n’analyse pas les râteliers. Il se satisfait de souligner les extrémités de trois d’entre eux terminées en pointe pour les ficher dans le linteau du foyer ou dans une colonne. Pour Neumann les râteliers n’ont pas une grande place mais ils en ont une qu’ils n’ont pas chez les autres auteurs.
Les autres auteurs américains que je connais ne mentionnent même pas le râtelier de cuisine. Par exemple, les Shiffer dans leur « AntiqueIron » n’ont pas de râtelier , que des couronnes d’office pour suspendre les viandes. À la page 25, il y a une photo d’un grand foyer avec un support à brochettes décoratif mais pas de râtelier ni de barre d’accrochage. Les manches des ustensiles apparaissant aux pages 235 à 240, sont terminés en œillet ou en crochet. Les Shiffer ne nous expliquent pas où et comment les familles accrochaient ces ustensiles. Il n’y a pas non plus de râtelier dans « The American Hearth » ni chez Bealer.
Conclusion à propos du râtelier en Nouvelle-Angleterre
Il est difficile d’arriver à une conclusion qui soit satisfaisante à propos des râteliers de cuisine de la Nouvelle-Angleterre. J’offre une revendication, un constat et une proposition.
- Je maintiens qu’il y avait des râteliers de cuisine en Nouvelle-Angleterre et qu’il y en avait de beaux.
- L’absence de l’instrument dans les collections est relative. Il n’y en pas beaucoup mais il y en a et de grande qualité. Quand on voit que les familles dépensaient de grandes sommes d’argent pour se procurer des supports à brochettes fort décoratifs, on les voit mal ne pas faire de même pour des râteliers du moins dans les familles les plus affluentes.
- Il faut aussi ajouter que le forgeron qui a eut du bon travail à forger un râtelier de cuisine veut surement en forger un deuxième.
- Il m’est donc impossible de croire qu’il n’y ait pas eu de râteliers de cuisine en Nouvelle-Angleterre. À quoi alors attribuer le fait qu’il ne s’en trouve pas plus dans les collections comme celle de Sorber ou celles que Sonn a visité et dessiné? J’ai offert ailleurs des explications à propos de leur disparition. En résumé, les râteliers sont devenus obsolètes et ils n’ont su garder même un rôle d’objet décoratif. Le métal a été recyclé contrairement aux louches et aux écumoires qui se sont retrouvées dans les tiroirs des cuisines modernes dépouillées et qui sont restés en service.
- Il faut constater un manque d’intérêt chez les auteurs américains pour cet instrument.
- Je ne peux expliquer cette absence d’intérêt.
- La plupart des auteurs cités en ont reconnu l’existence au moins. Comme Seymour Lyndsay le disait pour l’Angleterre, il n’y en avait dans les foyers qu’exceptionnellement. On peut imaginer que cela s’applique aussi à la Nouvelle-Angleterre. Mais il y en aurait eu plus que quatre, plus qu’en Angleterre si on ajoute l’influence française, l’influence allemande.
- Par ailleurs, Plummer et Neumann en ont eu des exemplaires de grande qualité sous la main . Ils ne les ont pas vu, ils ne leur on pas porté attention pas même Neumann qui pourtant en a trouvé plus que les autres. Alors pourquoi si peu d’intérêt?
- les râteliers de cuisine de la Nouvelle-Angleterre sont une indication de la présence et de l’influence de la culture française en Amérique.
- Les propos de Sonn sont éloquents à ce sujet il y a des traces de la présence française en Nouvelle-Angleterre dans les objets en fer forgé.
- À voir les râteliers que présentent Plummer et Neumann, les râteliers de cuisine que l’on retrouve en Nouvelle-Angleterre sont d’inspiration française.
En somme, je garde une certaine frustration de ne pas pouvoir, en ce moment du moins, expliquer le petit nombre de râteliers de cuisine trouvés en Nouvelle Angleterre étant donné la valeur monétaire et, d’après ce qu’on a pu voir, la valeur décorative des râteliers présentés et leur utilité dans une cuisine des 17e et 18e siècles.